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L'autorité dans les romans de Patrick Chamoiseau / Joscelin Bollut. In "Patrick Chamoiseau et la mer des récits", colloque international organisé par le
laboratoire Lettres, Langages et Arts (LLA CREATIS) de l'Université Toulouse Jean-Jaurès-campus Mirail, 8-10 octobre 2014. Thématique 2 : Le livre et la parole.Les représentants de l'autorité sous toutes ses formes sont, dans les romans de Patrick Chamoiseau, régulièrement mis en échec lors de l'exercice de celle-ci. On entend par là que ces personnages, qu'ils appartiennent aux forces de police (Solibo Magnifique), au corps enseignant (Une enfance créole), ou qu'ils s'affirment dans leur environnement comme maîtres incontestables de toute chose (Les neuf consciences du Malfini, L'empreinte à Crusoé), font eux-mêmes la démonstration de la défaillance de leur autorité dans la mesure où elle ne s'exprime que par une violence extrême et incontrôlable. Il est difficile de ne pas voir, dans cette représentation de l'autoritarisme et de l'imposition d'une volonté par la violence physique, les traces laissées dans la culture créole par le colonisateur imposant sa loi, sa pensée, sa langue. Dans les romans de Chamoiseau, les détenteurs d'une autorité réellement efficiente ne correspondent finalement pas aux modèles hiérarchiques habituels. De ce point de vue, l'auteur se fait par ailleurs l'écho des structures familiales particulières aux sociétés antillaises, fondées sur la matrifocalité, malgré la prépotence théorique du père : nous repérons ainsi des constellations de femmes assumant collectivement le rôle de chefs de famille (Une enfance créole), ou bien plus généralement de figures féminines combattantes imposant leur résistance face à l'autoritarisme masculin (Texaco), l'ensemble reprenant pour la communauté l'image du "poteau mitan" ou "Potomitan" empruntée au vaudou. L'exercice de l'autorité se définissant étymologiquement comme la capacité à faire croître et donc à enseigner, il semble pertinent de constater que divers personnages d'éducateurs se démarquent, au sein des récits de Chamoiseau, par l'autorité naturelle que leur confère leur sagesse ou leur appréhension du monde supérieure.
Ces manifestations singulières de l'autorité au sein des univers romanesques construits par Patrick Chamoiseau doivent en fin de compte nous permettre d'en questionner une autre de nature différente, qui est celle de l'auteur tel qu'il se met en scène. En se bâtissant un double à la fois narrateur et personnage, le "marqueur de parole", Chamoiseau se montre souvent actor (en évoluant ponctuellement dans ses propres récits) mais aussi auctor (fondateur d'une parole légitimée puisque présentée comme authentique). Une manière feinte, puisque purement fictionnelle, de légitimer le récit par des sources extérieures est une forme d’abdication volontaire de l'auteur dans son autorité habituelle, ce dernier abandonnant apparemment sa paternité sur le texte pour donner à lire le récit d'un autre ; et pourtant inversement, la présence récurrente d'un personnage-narrateur qui est un double de l'auteur semble marquer une résistance à laisser l'univers romanesque exister en-dehors de son créateur. Cela semble donc positionner l'auteur à mi-chemin entre un retrait vis-à-vis du texte qui semble dénoter une certaine humilité, une mise en scène du récit selon une authenticité fictive, et un jeu complexe autour de l'autofiction.[Illustration adaptée de "Mystery River", photographie de Mattias Ripp, 2014, publiée sur Flickr].
Mot(s) clés libre(s) : littérature française (20e-21e siècles), Patrick Chamoiseau (1953-....), littérature antillaise de langue française, autorité (dans la littérature)