Voir le résumé
Les rondes de saint Antoine. Culte, affliction et possession à Puliyampatti (Inde du Sud)
auteurs/réalisateurs : Brigitte et Christian Sébastia
Lorsque les patients et leur famille arrivent à Puliyampatti, c’est souvent après un long parcours thérapeutique infructueux auprès des services de biomédecine, des sorciers, des prêtres devins. Les échecs thérapeutiques auxquels s’ajoutent les avis des devins, l’incompréhension des symptômes, le sentiment d’impuissance et le dépouillement financier sont autant de facteurs qui justifient le choix d’un séjour dans ce village dont le saint patron de son église est réputé pour annihiler les effets des maléfices et des esprits possédants. Comme dans de nombreuses sociétés singularisées par des cultes de possession et une forte croyance en la sorcellerie, les Tamouls considèrent que certaines maladies violentes, incurables, incompréhensibles peuvent être infligées par des divinités au tempérament ambivalent ou par des esprits malveillants manipulés par la sorcellerie ou agissant en réaction à des actes transgressifs. C’est notamment le cas des troubles mentaux et psychogènes singularisés par des comportements en inadéquation avec les règles de la vie sociale et familiale. Confrontée à l’émergence de tels troubles, la famille se doit de tout mettre en œuvre pour découvrir rapidement l’origine du mal de manière à rétablir l’ordre social et familial perturbé et à protéger la parentèle. Si l’absence d’amélioration des symptômes après les nombreuses tentatives thérapeutiques corrobore l’origine surnaturelle des troubles, une telle présomption demande à être confirmée de manière à conforter le bon choix du séjour au sanctuaire et à espérer une possible guérison. Cette confirmation est rendue possible par l’orchestration quotidienne de rituels d’exorcisme usant de sévices corporels et d’injonctions dont l’objectif est de conditionner le patient jusqu’à ce qu’il manifeste les signes de possession. Selon la nature des troubles, des patients finissent par répondre au désir de leurs proches en adoptant les gestuelles de possession calquées sur les prouesses des possédés qui les entourent. Dans tous les cas, il s’agit de personnes blessées et traumatisées par un environnement familial et/ou social violent et assujettissant. Et cette première expérience de la possession marque le commencement d’une longue série de manifestations de possession qui tendent à devenir de plus en plus fréquentes et violentes. Même si ces personnes se plaignent des douleurs engendrées par leurs gesticulations et les meurtrissures qu’elles s’infligent, elles considèrent que leurs possessions les soulagent. Le bienfait ainsi ressenti favorise leur adhésion à l’étiologie sorcière prédite par leurs proches.
Doctorat d’Anthropologie de l’EHESS Les rondes de saint Antoine
Cette recherche concerne l’étude d’un sanctuaire catholique fréquenté par des personnes affectées de troubles psychiques interprétés comme résultant d’un acte maléfique ou d’une intervention surnaturelle.
Les thèmes abordés sont:
- L’indigénisation des pratiques religieuses :
Cette étude, déjà au cœur des deux précédents travaux, est complétée par l’observation des pratiques et des rites spécifiques à cet endroit. La singularité des pratiques religieuses est due à la figure du saint qui siège dans ce sanctuaire. Saint Antoine détient la fonction de ‘divinité de famille et de caste’, de ‘divinité de village’ et aussi celles de thaumaturge et d’exorciste.
- Pluralisme médical et psychiatrie :
La médecine occidentale et le système asilaire ont été implantés en Inde par le biais de la colonisation. Leur recevabilité auprès des populations a été très mitigée du fait de craintes engendrées par des pratiques très différentes de celles utilisées par les médecines indiennes savantes et populaires. Malgré ce, le recours en première instance à la psychiatrie apparaît dans plus de la moitié des trajets thérapeutiques des patients rencontrés à Puliyampatti, la thérapie populaire ou religieuse n’étant choisie que par la suite. Quant aux médecines indiennes savantes, elles sont peu sollicitées pour soigner les troubles psychiques, alors même qu’elles possèdent une thérapeutique et une nosographie très élaborée en la matière.
- Les récits de vie et la genèse des troubles
Les récits de vie collectés auprès des patients à Puliyampatti éclairent sur les conceptions des troubles psychiques. Ils font généralement référence au contexte social et aux évènements au sein desquels les troubles sont apparus. Cela invite à s’intéresser aux obstacles auxquelles les individus, notamment les femmes, se sont confrontés durant leur vie sociale : difficulté à respecter les alliances préférentielles qui entraîne des ruptures familiales, violences conjugales physiques et morales, pressions pour obtenir une meilleure dot, une descendance mâle, etc.
- Rituels d’exorcisme et possession
L’observation des rapports entre les patients et leur famille durant les rituels d’exorcisme montre que les premiers signes de possession par des entités malveillantes ne sont pas spontanés mais induits par la pression et les sévices exercés sur les patients. Les patients répondent à cette incitation selon leur pathologie, les personnes déprimées, ayant vécu de nombreux traumatismes, étant plus disposées. Pour ces patients, les manifestations de possession deviennent un exutoire pour évacuer des tensions trop oppressantes, une protection pour échapper à la vie sociale génératrice des troubles, une mise en scène pour attirer les regards, un pouvoir pour inciter la crainte et le respect de l’entourage. Ainsi, définir les intérêts de la possession permet de reconnaître la singularité de la thérapie religieuse par rapport aux systèmes de soin disponibles en Inde.
Pour en savoir plus, consultez : Les rondes de saint Antoine. Culte, affliction et possession en Inde du Sud. Paris, Aux Lieux d’être, ‘Sous prétexte de médecines’.
http://amades.revues.org/396
Mot(s) clés libre(s) : religion, thérapie, divinité, Inde Sud, Puliyampatti, maléfice, Tamoul, sorcellerie, possession, rituel thérapeutique, culte, film ethnographique, maladie mentale, vidéo, Pey